A qui profite le crime ?
Publié le 26 Février 2013
Le projet de Directive européenne sur les produits du tabac, dans sa version actuelle, propose de maintenir l’interdiction de vente en Europe du snus (un tabac non fumé vendu en Suède, considérablement moins dangereux que la cigarette) et d’encadrer de façon drastique la vente de cigarettes électroniques en limitant la dose de nicotine qu’elles peuvent délivrer à des taux tellement bas que cela représenterait un arrêt de mort pour ce produit.
La plupart des organisations non gouvernementales qui sont entendues à Bruxelles, sont totalement opposées à la levée de l’interdiction de vente du snus, et s’opposent de la même manière à la e-cigarette. Leur seul but semble être de vouloir exterminer l’industrie du tabac et de soit disant prévenir l’initiation au tabagisme des jeunes. Ils jugent en effet, qu’en libéralisant un produit comme le snus ou la e-cigarette, on favoriserait l’initiation. Pour le snus parce qu’il serait plus facile aux adolescents de « cacher » leur tabagisme (le snus se met dans la bouche et n’est pas visible de l’extérieur), pour la e-cigarette parce que l’on pourrait les séduire avec un produit qui serait vu comme moins nocif.
Tout le problème est là. Le projet de Directive se donne pour but, au mieux, de réduire de 2% la prévalence du tabagisme en Europe, dans les 5 ans à venir. Elle ne s’attaque pas vraiment au problème. En France, entre 2005 et 2010, la prévalence du tabagisme a réaugmenté après avoir diminué progressivement durant la décade précédente. Pourquoi? Le rapport de la Cour des comptes publié en décembre dernier est éloquent !
La convention cadre pour lutter contre le tabagisme de l’OMS (CCLAT) est une bonne chose, et nombre des propositions de contrôle du tabac sont fondées et vont dans le bon sens. Cependant, la CCLAT a oublié un aspect très important, la réduction du risque tabagique. Tout le contrôle du tabac à l’heure actuelle, vise uniquement a éradiquer le tabagisme en espérant que tous les fumeurs vont arrêter de fumer. C’est un leurre. Le tabagisme est une addiction qui existe depuis plusieurs millénaires, même si l’épidémie tabagique induite par l’introduction de la cigarette industrielle est plus récente, mais a déjà eu des effets dévastateurs au 20ème siècle, tuant environ 100 millions d’individus, et nous promet bien pire au 21ème siècle si l’on n’enraye pas cette épidémie; 1 milliard de morts, selon l’OMS !
La réduction du risque
Pour les anglophones, je vous suggère d’écouter Gerry Stimson, son discours sur le bénéfice potentiel du snus et de la e-cigarette pour enrayer l’épidémie tabagique est un modèle. La réduction du risque, dans le domaine des drogues injectées avec les programmes d’échanges de seringues ou les drogues de substitution, ou dans celui du SIDA avec l’utilisation du préservatif, ont eu du mal à s’imposer. Pour l’instant, dans le domaine du tabac, seule une poignée d’experts la défend.
Gerry Stimson on tobacco harm reduction
Le danger du tabagisme ne réside pas dans la dépendance à la nicotine. La nicotine n’est pas une substance dangereuse aux doses que s’administre un fumeur ou un vapoteur ou vapeur, c’est selon ! Le danger réside dans le fait d’inhaler de la fumée, quelle qu’elle soit d’ailleurs (celle d’un barbecue n’est pas moins nocive !), celle du tabac contenant environ 7000 substances, dont une cinquantaine de cancérigènes, des gaz oxydant et du monoxyde de carbone (CO) très mauvais pour le cœur et les vaisseaux. Le danger le plus immédiat vient justement du CO, qui prend la place de l’oxygène dans le sang et a une affinité pour l’hémoglobine (qui transporte l’oxygène dans le sang) 200 fois supérieure à celle de l’oxygène. C’est l’une des raisons qui a motivé l’interdiction de fumer dans les lieux publiques, car la fumée passive (celle qui s’échappe des cigarettes même lorsqu’on ne tire pas dessus) est encore plus nocive que celle qu’inhale le fumeur (elle est plus concentrée en toxiques, car la combustion est moins forte).
Utiliser du snus (une sorte de tabac à chiquer moderne), ou une e-cigarette, supprime immédiatement l’inhalation de fumée. La vapeur produite par la e-cigarette contient principalement de la nicotine et son vecteur (propylène glycol, glycérine végétale, eau, alcool, arômes), aucune des substances dangereuses de la fumée. En conséquence, avant même d’envisager d’autres bénéfices à long terme, ce sont toutes les maladies pulmonaires qui sont éradiquées. Comme il n’y a plus de CO, c’est aussi une très grande partie des maladies cardiovasculaires (cœur et vaisseaux). Imaginez donc, si ne serait-ce que 20% ou 30% des fumeurs passaient immédiatement au snus ou à la e-cigarette. Il y aurait des bénéfices de santé immédiats, et bien sûr aussi à long terme, énormes. Or, qui dit bénéfices de santé, dit bénéfices tout court, pour le système de santé, donc l’Etat, donc nous au bout du compte.
Mais pour que cela arrive, il faudrait que nos représentants au Parlement européen modifient le projet actuel de Directive sur les produits du tabac, afin d’autoriser la vente de snus en Europe* et permettre à la e-cigarette de se développer sans lui mettre des bâtons dans les roues. La limite de 4 mg/ml pour les e-liquides, ou de 2 mg pour les cartouches celées, ou une nicotinémie (concentration plasmatique de nicotine) de 4 ng/ml, ne peuvent pas satisfaire un fumeur. Laisser cette limite dans le projet reviendrait à tuer l’industrie de la cigarette électronique et renvoyer les fumeurs vers leurs chères cigarettes !
*(il faut tout de même savoir que tout un tas d’autres produits du tabac non fumé, dont le tabac à priser, mais aussi des tabacs à « chiquer » sont autorisés à la vente en Europe, cette interdiction ne concerne que le snus, dont il est prouvé, noir sur blanc, qu’il est considérablement moins nocif que ces autres produits)
Pourquoi ne pas encadrer simplement la e-cigarette, comme le propose certains ? Tout simplement parce que ce phénomène s’est amplifié par le simple bouche à oreille parmi les fumeurs, ce qui signifie que le produit les satisfait. C’est la première fois dans l’histoire qu’une telle chose arrive. Il ne faut donc pas, en voulant trop l’encadrer tuer ce mouvement. Il convient bien sûr que la réglementation de protection des consommateurs s’exerce pleinement, et que des contrôles de sécurité et de qualité, même éventuellement renforcés, soient mis en place. Mais en aucun cas il ne faut contraindre la e-cigarette à être réglementée comme un médicament. Si certaines entreprises souhaitent le faire, il faut le prévoir dans la Directive et ne pas les empêcher de le faire, mais il ne faut en aucun cas l’imposer à toutes. Nous savons dans le domaine de la tabacologie combien les barrières à l’accès au traitement sont un frein à l’arrêt du tabac. C’est en ce sens que nous avons milité pour que les substituts nicotiniques soient délivrés sans ordonnances dans les pharmacies, j’avais même soutenu à l’époque l’idée qu’il faudrait les vendre aussi dans les bureaux de tabac. Or l’on s’aperçoit que même en vente sans ordonnance, les substituts nicotiniques ne sont pas utilisés par la majorité des fumeurs, seule une petite portion d’entre eux le fait. Et qu’on ne viennent pas me dire que c’est parce que ça ne marche pas, c’est faux ! Bien utilisés, suffisamment longtemps (c’est long un sevrage) et à dose suffisante (souvent de fortes doses avec association patch + forme orale sont nécessaires) ils sont efficaces.
Pour finir, si l’on en reste là avec ce projet de Directive européenne, c’est un tapis rouge que l’on déploie pour l’industrie de la cigarette. Le puissant lobby du tabac est bien implanté à Bruxelles (il n’y avait qu’à entendre certains représentants de pays producteurs de tabac hier lors des auditions du Comité ENVI pour en être convaincu. Le discours sur la nocivité des cigarettes contrefaites ou de contrebande est directement inspiré du discours de l’industrie du tabac). Il est urgent de réagir et d’offrir aux fumeurs européens une politique de santé publique qui soit à la hauteur des enjeux. Arrêtons de mentir aux fumeurs en leur disant, comme le fait l’OMS, que tous les produits du tabac sont également nocifs. C’est faux, les produits non fumés le sont moins que les produits fumés, le snus l’est moins que les autres produits non fumés, et la cigarette électronique ne présente probablement pas plus de danger que la consommation d’autres produits de consommation courante. Je voudrais pour terminer, rappeler une citation de Michael Russell, l’un des pionniers de la recherche sur le tabac que j’ai eu la chance de connaître et d’apprécier :
«Ce n’est pas tant l’efficacité à court terme des nouveaux substituts nicotiniques comme aide à l’arrêt, mais plutôt leur potentiel à devenir des substituts à long-terme de la cigarette, qui fait de l’élimination du tabagisme un but réaliste… Ces futurs produits devraient être activement promus sur un marché ouvert afin d’entrer en compétition avec le tabac. Il faudra pour cela que les autorités de santé les approuvent, que leurs taxes soient faibles, et que les mouvements anti-tabac les soutiennent afin que l’éradication progressive du tabagisme soit un but atteignable.»