Evaluation de la topographie d'utilisation de la e-cigarette et de la quantité de e-liquide utilisée.
Publié le 20 Juin 2013
Cette étude est très importante, car elle est la première à analyser précisément la façon dont les utilisateurs de e-cigarette vapotent, et à évaluer la quantité de e-liquide utilisée.
Pour cela, 45 vapoteurs expérimentés et 35 fumeurs, de 20 à 45 ans, ont été recrutés. Les vapoteurs, tous anciens fumeurs, vapotaient quotidiennement des e-liquides avec des concentrations de nicotine allant de 6 mg/ml à 12 mg/ml. Ils vapotaient en moyenne depuis 7 mois et utilisaient 5 ml de e-liquide chaque jour. Les fumeurs n'avaient jamais utilisé de e-cigarette. Ils étaient tous abstinents depuis la veille au soir (au moins 8h) de e-cig pour les uns, et de cigarettes pour les autres.
La e-cigarette utilisée dans l'étude était une eGo-T munie d'un atomiseur Epsilon (clearomiseur), considérée comme une e-cig de seconde génération. Un e-liquide à 9 mg/ml a été utilisé pour l'étude.
Les vapoteurs ont utilisé la e-cig ad libitum (à volonté) pendant 20 minutes, pendant qu'ils étaient filmés afin, par la suite, d'analyser image par image pour déterminer les caractéristiques topographiques du vapotage (durée d'allumage de la diode déclenchant la batterie, durée d'inhalation, durée d'exhalaison). Les fumeurs ont aussi été filmés en fumant 2 cigarettes (7 mg de goudron, 0,7 mg de nicotine, selon la machine à fumer), puis un autre jour, en vapotant pendant 10 minutes (après avoir reçu des instructions concernant l'utilisation de la e-cig). Les images vidéos étaient prisent à 25 images/secondes, ce qui donne une précision d'analyse image par image de 40 ms.
Afin de minimiser les biais d'évaluation, seules 10 bouffées de cigarette ou de e-cig consécutives ont été analysées dans les 2 groupes. Les 3 premières bouffées n'étaient pas analysées, afin de laisser un temps d'adaptation aux utilisateurs, les bouffées analysées ont été les bouffées 4 à 13.
Pour déterminer la quantité de e-liquide utilisé par les vapoteurs (pas par les fumeurs), le clearomiseur était pesé avant utilisation, puis après 5 minutes et 20 minutes de vapotage. Le temps de 5 minute a été utilisé car il représente à peu près le temps nécessaire pour fumer une cigarette, les 20 minutes ont été choisies car elles représentent le temps d'utilisation d'un inhaleur de nicotine (substitut nicotinique) pour délivrer 4 mg de nicotine.
Les résultats montrent que la durée de la bouffée de e-cig prise par les vapoteurs est significativement (p<0,001) plus longue (4,2 +/- 0,7 s) que la bouffée de cigarette ou de e-cig prise par les fumeurs (2,1 +/- 0,4 s et 2,4 +/- 0,5 s, respectivement). A l'inverse, la durée de l'inhalation est significativement (p<0,001) moindre avec la e-cig chez les vapoteurs (1,3 +/- 0,4 s) que chez les fumeurs (2,2 +/- 0,4 s et 2,0 +/- 0,4 s, respectivement). Par contre, aucune différence n'a été observée sur la durée d'exhalaison (1,7 +/- 0,5 s ; 1,8 +/- 0,4 s et 1,7 +/- 0,3 s, respectivement).
Les vapoteurs ont pris 13 bouffées en 5 minutes et 43 bouffées en 20 minutes (soit 1 bouffée toutes les 20 à 30 s), ce qui correspond à 62 mg (ou 0,05 ml) et 219 mg (ou 0,18 ml) de e-liquide (la quantité de e-liquide consommée est significativement corrélée au nombre et à la durée des bouffées, et aucun effet dû à l'âge, l'historique du tabagisme ou à la durée d'utilisation d'une e-cig quotidiennement, n'a été observé). Selon ces données, et la concentration à 9 mg/ml du e-liquide utilisé, les e-cig, dans ces conditions d'utilisation, ont délivré 0,46 +/- 0,12 mg de nicotine en 5 minutes et 1,63 +/- 0,41 mg de nicotine en 20 minutes.
Afin de comparer avec la consommation de cigarettes, et en estimant qu'une cigarette délivre environ 1 mg de nicotine au fumeur en 5 minutes (c'est la mesure moyenne observée dans les études), il a été estimé avec ces données qu'il faudrait un e-liquide dosé à 21 mg/ml de nicotine pour délivrer 1 mg au vapoteur. Et pour délivrer 4 mg de nicotine en 20 minutes (similaire à l'inhaleur), il faudrait un e-liquide dosé à 24 mg/ml de nicotine.
Cette étude permet de définir un "standard" de la topographie d'utilisation de la e-cigarette pour les futures études chez les vapoteurs. En effet, utiliser la norme ISO retenue pour analyser la fumée de cigarette (1 bouffée de 2 s toutes les 60 s), sous-estimerait le mode de consommation des vapoteurs. Les auteurs proposent donc de retenir les paramètres mesurés dans cette étude, soit une bouffée de 4 s toutes les 20 à 30 s, à condition d'utiliser des e-cig de dernière génération, plus performantes que les anciennes qui ne supportaient pas cette fréquence, et en particulier chauffait trop, produisant un effet désagréable (dry puff, ou bouffée sèche due à la surchauffe ou à l'arrivée trop lente du e-liquide sur la résistance).
Enfin, les auteurs concluent en faisant la critique de la proposition contenue dans la révision de la Directive européenne sur les produits du tabac, de limiter les e-liquides sans autorisation de mise sur le marché à 4 mg/ml. Cette étude démontre clairement, pour la première fois, que pour satisfaire les besoins d'un fumeurs commençant à vapoter, une concentration de 20 à 24 mg/ml de nicotine est nécessaire. Il est intéressant de noter qu'empiriquement, c'est à peu près la limite proposée par l'ANSM en France (20 mg/ml), qui pour l'instant est toujours en vigueur. Cette étude permet enfin de se reposer sur des données réelles, qui manquaient jusqu'à présent, afin de pouvoir proposer aux vapoteurs des e-liquides suffisamment dosés pour leur permettre d'abandonner rapidement la cigarette, ce qui a été observé dans certaines études où la concentration de nicotine utilisée était en moyenne de 18 mg/ml.
Pouvoir proposer aux fumeurs une alternative crédible et considérablement moins nocive que le tabac permettra d'appliquer au plus grand nombre une réduction du risque tabagique significative, et aura un impact énorme sur la santé publique.
Farsalinos KE et al. Int J Environ Res Public Health. 2013 Jun 18;10(6):2500-14. Article en libre accès : http://www.mdpi.com/1660-4601/10/6/2500